Expérimentation Oui pub, l’envers du décor !
Xavier Guillon, Sylvain Bedoni et Stéphanie Lebbos décryptent pour nous les impacts de cette mesure sur la consommation des ménages, le trafic en magasins et l’organisation de la « filière catalogues ».
Alexis Goujon : Pour bien comprendre quels sont les enjeux de cette mesure Oui pub qui est maintenant pleinement engagée, il est nécessaire au préalable de refaire un point sur le poids des catalogues dans la consommation des Français et dans la dynamique commerciale des enseignes et des marques. Xavier, tu étudies ce sujet chez France Pub depuis plus de 30 ans, comment les catalogues se positionnent-ils dans le paysage médias et de quelle manière leur rôle a-t-il évolué au cours de ces dernières années ?
Xavier Guillon : Aujourd'hui, l'investissement des annonceurs sur ce média s’élève à 2,3 milliards d'euros nets annuels, fabrication et distribution réunies. C'est donc un marché très important. C'est plus que la presse qui fait 1,7 milliards d’euros, c’est aussi 2 fois le montant de l’affichage. A ce niveau d'investissement correspond une attente de rentabilité des annonceurs, qui est réelle, car dans le cas contraire, ils n’investiraient pas de tels montants dans ce média.
Les catalogues représentaient 9% des investissements médias et sont descendus à 7%, baisse liée au coût du papier en pleine augmentation d’une part, mais aussi à la montée du digital qui aujourd'hui représente 27% de l'ensemble des investissements de communication, mais qui a pris très peu sur les cinq médias historiques qui restent stables avec 26% de part de marché.
Ce « grignotage » des investissements par le digital c’est essentiellement porté sur le hors-média, c’est-à-dire le marketing direct.
Côté consommateurs, nous mesurons également la réceptivité de tous les médias locaux et nationaux dans le processus d'achat. Le résultat, c’est que près d'un ménage sur deux (47%) utilisent les prospectus, les catalogues. Et pour ces ménages c'est un media utile. 25% sont réfractaires, ce qui correspond au taux de stop pub constaté aujourd’hui qui est sensiblement identique.
Sur le cœur de cible, celui pour qui le catalogue est très utile, nous sommes principalement sur les familles, parce que c’est une information très importante pour faire le plein alimentaire, c’est structurant pour certaines familles qui ont beaucoup d’enfants notamment. Ce sont plutôt des ménages modestes, qui résident en zones périurbaines ou dans les quartier d'habitation des centre- villes. Ces personnes-là gardent plusieurs jours les catalogues qui participent de la réflexion et du temps pour préparer ses achats et profiter des meilleures offres.
A.G. : Le « poids » des catalogues est donc important dans l’activité économique française, dans l'activité des media et pour une moitié des consommateurs dans leur consommation au quotidien. Si on se penche justement sur l'utilité pour les ménages, Sylvain, peux-tu nous expliquer le rôle que jouent ces catalogues et prospectus, notamment par rapport à leur pouvoir d’achat, et quel pourrait être l'impact de la disparition des catalogues sur les comportements d'achat des Français ?
Sylvain Bedoni : Il y a 3 points à considérer concernant l'impact du catalogue et son utilisation par rapport au pouvoir d'achat notamment. Le premier, c'est que le catalogue est le seul support qui permet d’avoir accès véritablement à la profondeur de l'offre du magasin, toute la gamme de produits qui peut être mise en avant. Et donc le consommateur peut optimiser l'ensemble de ses courses grâce à cette profondeur d'offre.
Le deuxième point, c’est qu’avec la fracture numérique, même si les e-catalogues ont aussi cette capacité à proposer une offre large, les ménages eux n’ont pas tous aussi facilement accès aux offres digitalisées. Tout le monde à une boîte aux lettres et donc un accès facile au catalogue papier, ça n’est pas le cas pour les accès digitaux.
Le troisième point, c’est que les catalogues papier permettent de choisir facilement l’enseigne à proximité de chez soi qui propose les meilleurs offres par rapport à ses concurrents, et donc d’organiser ses achats en conséquence pour réaliser les meilleures économies.A.G. : Tu parlais Sylvain de fracture numérique, il y a aussi une question d'usage numérique avec des populations qui ne sont pas totalement à l'aise aujourd'hui avec une consultation numérique systématisée. Ces personnes ont donc encore besoin de supports papier pour pouvoir faire leur choix.
Pour en revenir à la mesure du Oui pub, elle a été mise en place il y a 2 mois environ, ce qui est assez récent mais suffisant pour commencer à comprendre son impact sur les comportements des consommateurs. Mais avant cela Stéphanie, peux-tu nous partager les résultats de l’étude menée par Adot sur le niveau d’information des consommateurs concernant cette mesure et ce qu’ils en ont compris ?Stéphanie Lebbos : Tout d’abord une petite précision importante concernant cette étude avant de vous donner les résultats, c’est que cette dernière a bien sûr été déployée uniquement sur les zones dans lesquelles il y a eu l'expérimentation oui pub. Pour introduire le sujet, nous avons demandé aux personnes interrogées par quels moyens elles découvraient les promotions attendues. Sans surprise, il y a tout d'abord le magasin, puis les sites internet, mais ce qui a été assez intéressant c'est de voir la place des prospectus papiers qui viennent en troisième position. Ainsi, 45% des répondants déclarent découvrir les promotions grâce aux prospectus papier, ce qui corrobore les chiffres présentés par Xavier. Parmi les autres moyens permettant d’accéder aux promotions, figuraient la publicité, les programmes de fidélité et les catalogues sur les sites. On peut donc voir de manière générale qu'il y a encore de la place pour les catalogues dans les habitudes des Français, au moins ceux qui résident dans les zones Oui pub !
Concernant leur opinion sur les prospectus papiers, y a un consensus sur l'impact environnemental des prospectus papier.Mais ça va au-delà de ça puisque plus de la moitié des répondants a déclaré que les prospectus mettent en avant des promotions intéressantes. Donc là de nouveau on peut voir que les prospectus font toujours partie des habitudes des répondants et que leur rôle va au-delà des promotions puisque plus du tiers déclare également découvrir de nouveaux produits grâce aux prospectus.
Concernant la notoriété aujourd'hui du Oui Pub dans les zones de test, ce qui est intéressant c'est de voir que déjà plus de 30% déclarent savoir très bien ce que c'est. En revanche, plus de la moitié n'ont jamais entendu parler encore du Oui Pub. Ce qui montre qu’aujourd'hui il n’y a pas vraiment un problème de niveau de compréhension, mais plutôt un problème de notoriété tout simplement de cette mesure. Quant à l'affichage de l'autocollant sur les boîtes aux lettres, 16% ont déclaré l’avoir déjà mis en place. 30% sont indécis et plus de la moitié déclare ne pas du tout être intéressé.
A.G. : Depuis que le Oui Pub a été mis en place sur ces zones là, est-ce que vous avez constaté un changement concernant le trafic en magasin et existe-t-il des différences entre les types de magasins ?
S.L. : Pour mesurer l’impact sur le trafic en magasin dans ces zones Oui Pub, nous avons utilisé comme base comparative l'évolution nationale, et ce entre les périodes de juin et de septembre. D'une manière générale, on note une baisse de trafic vers les hypermarchés, notamment pour les foyers qui résident à plus de 30 km de ces hypermarchés, mais c’est vrai aussi pour les supermarchés.
A.G. : Une fois mise en place, l’information concernant cette nouvelle réglementation Oui Pub devait être relayée par les municipalités concernées auprès de leurs administrés. Sylvain, sait-on si cette information a été relayée de manière identique dans toutes les communes concernées et si par conséquent le taux d’apposition des autocollants Oui Pub est homogène dans les différentes agglomérations concernées ?
S.B. : Ce qu'il faut avoir en tête, c'est qu’aujourd'hui il n’y a pas de comptage officiel du taux d’apposition des autocollants Oui Pub. Et il n'est pas prévu de comptages officiels, par l’ADEME par exemple. Les seuls à disposer d’un comptage, ce sont les distributeurs parce qu'ils sont obligés de le réaliser pour pouvoir informer leurs clients du nombre de catalogues à imprimer pour couvrir les zones. Les distributeurs ont commencé à faire ce comptage en septembre, et là les premières tendances montrent qu’il y a une très forte hétérogénéité entre les communes. Le taux d’apposition de Oui Pub va de 1% à 20%. On atteint 20% dans certaines zones, mais on parle aussi de 1% dans d’autres zones. Il faut donc bien prendre en compte la communication qui a été faite sur ce sujet au niveau des agglomérations pour expliquer les taux de Oui Pub constatés. Stéphanie l’évoquait, 50% des personnes interrogées ne sont concrètement pas au courant que leur agglomération participe au test, car certaines municipalités ont fait le choix de ne pas, ou très peu, communiquer sur le sujet. Par exemple sur Bordeaux et Grenoble, le taux de boîtes aux lettres avec un autocollant Oui Pub est très faible. Cela signifie que les résidents, du jour au lendemain, n’ont plus reçu les prospectus mais sans savoir pourquoi, sans savoir quel geste faire pour pouvoir à nouveau recevoir les catalogues.
Pour faire un parallèle avec les Pays-Bas qui depuis 2018 ont mis en place l’équivalent du Oui Pub, il a fallu jusqu’à six communications directement dans la boîte aux lettres pour que le taux de Oui Pub se stabilisent et que les habitants choisissent ou non d’apposer l'autocollant. On voit ainsi que les chiffres au Pays-Bas sont très en lien avec ceux observés en France, parce qu’Amsterdam qui est très urbaine et très tournée vers l’environnement est à 25% de Oui Pub depuis 2018. En revanche, les zones les plus rurales atteignent 40%, voire 50% de Oui Pub, ce qui est proche du chiffre de 47% évoqué par Xavier. Sur les zones rurales, le catalogue continue d'avoir de l'importance et d'être utilisé par ceux qui en ont besoin. On peut donc imaginer que dans le temps avec une information qui va se nationaliser demain sur la nécessité d’apposer l'autocollant Oui Pub pour pouvoir bénéficier de la distribution, y compris certainement dans ces villes où il n’y a pas de communication directe, le taux du Oui Pub retrouvera des niveaux un peu plus proches des taux issus des études et constatés aux Pays-Bas.
A.G. : Pour revenir sur l’impact de cette mesure sur l’activité commerciale et économique des annonceurs, de même qu’on constate des différences en matière d’information et de compréhension de cette mesure entre les différentes agglomérations, constate-t-on des différences d’impact sur le trafic en magasins entre petites et grandes agglomérations ?
S.L. : En effet, on constate de grandes différences entre les petites et les grandes agglomérations et ce à plusieurs niveaux. Sur l'utilité des prospectus pour découvrir les promotions tout d’abord, qui est plus importante dans les petites agglomérations avec 5 points de plus que le global. Avec également une utilisation beaucoup plus diversifiée des prospectus que dans les grandes agglomérations, qui sont à la fois une source d’inspiration mais aussi un outil de préparation de la liste des courses et une aide au choix du point de vente dans lequel se rendre pour faire ses courses. Il y a également une plus forte notoriété des prospectus dans les petites villes avec 4 points d’écart par rapport au global. Parmi les répondants à notre enquête, ceux résidant dans les petites agglomérations ont été plus nombreux à déclarer avoir mis les autocollants Oui Pub sur leur boîte aux lettres, soit 21% d’entre eux, ce qui fait 5 points de plus que le taux global.
X.G : les chiffres présentés par Stéphanie sont une belle confirmation de ce qu’on a constaté chez France Pub sur ces zones test. Nous avions d’ailleurs déjà un peu anticipé cette mesure car ces expériences de réduction, voire d'arrêt des catalogues opéré par certaines grandes enseignes qui d’ailleurs ont décidé très vite de redistribuer des catalogues, ont une incidence assez brutale sur le chiffre d’affaires. Ce constat est beaucoup plus marqué dans les Hypermarchés que dans les magasins de proximité en centre-ville parce que le consommateur qui réside en hyper centre-ville, la comparaison des offres, pour lui, c’est autour de chez lui. La notion d'accès à l'offre sur les supermarchés où magasins populaires est beaucoup plus facile, donc le besoin de catalogues est moins fort. En zone périurbaine ou dans les villes moyennes en revanche, compte-tenu du temps d'accès aux magasins, il y a un besoin d'avoir ces éléments de comparaison. Les enseignes qui ont déjà testé une réduction, voire une suppression des catalogues, l’avaient déjà fait sur leurs zones, et ce travail d'adaptation des quantités, on le voit bien quand on est passé de 9% à 7% des investissements media, était déjà en cours au moment de la mise en place du Oui Pub. Le mouvement d’optimisation était donc déjà très bien enclenché, ce qui pose la question de l’intérêt de la mise en place du Oui Pub. A l’expérience, lorsque les enseignes ont voulu recaler ces quantités, ça s'est naturellement fait sur les zones d'acceptation et de besoin vis-vis des catalogues.
On voit bien également la nécessité pour les enseignes d'avoir cette présence physique dans ces zones périurbaines, éloignées des centres-villes, avec une mise en concurrence des enseignes qui est primordiale dans le contexte actuel d'inflation, notamment des produits alimentaires. Le jeu de la promotion est donc très important pour les ménages moyens défavorisés en cette période de difficulté sur le pouvoir d'achat.A.G : Cette mesure Oui Pub a également des impacts sur la filière catalogues, les distributeurs mais aussi les imprimeurs, non ?
S.B. : Si on considère uniquement les distributeurs, ceux qui mettent les catalogues dans les boîtes aux lettres, c'est 25 000 emplois en France, et ce sont des emplois de personnes peu ou pas qualifiées. Généralement, c'est un complément de revenu très important pour eux parce que on est sur des populations dites « à risque » en termes d’employabilité. Si on s’intéresse à toute l'industrie du papier en France cette fois-ci, le catalogue c’est ce qui permet d'amortir les charges des imprimeurs, des papetiers et de proposer le livre et la presse magazine à des prix raisonnables. Cet équilibre sera donc fortement chamboulé si à un moment donné le volume d’exemplaires distribués se met à baisser très fortement, et qui est aggravé également par l'augmentation du coût du papier. Il y aura également un impact sur l'économie locale car avec la perte de ces emplois, c’est aussi le pouvoir d’achat global autour du magasin qui diminuera et donc moins de chiffre d’affaires pour les enseignes implantées localement. Est-ce que les solutions media alternatives aux catalogues qui seront utilisées permettront de redistribuer ce pouvoir d’achat, c’est la question !
A.G. : C’est en tout cas un des enjeux des Relocalisateurs de militer pour faire en sorte qu'effectivement cette valeur n’échappe pas aux habitants de ces territoires. Nous verrons par la suite les solutions qu’il est possible de mettre en place pour maintenir cette dynamique économique locale.
Pour terminer sur ce sujet, nous nous devions d’évoquer la dimension environnementale de cette mesure. L’objectif de nos débats n’est certainement pas prendre parti pour tel média ou de clouer au pilori tel autre, mais bien comprendre ce que chaque filière entreprend pour réduire son empreinte environnementale. Qu’en est-il pour la filière papier Sylvain ?
S.B. : Aujourd'hui, l'ensemble du cycle de vie du papier, par la loi et les différentes normes qui ont été mises en place sur plusieurs années, est encadré, de la fabrication jusqu'au recyclage. Aujourd'hui, 95% des imprimés publicitaires proviennent soit de papier recyclé, soit de forêts gérées durablement. Et on va même basculer sur 100% car la loi va l'imposer dès 2023. Donc sur la partie fabrication, c'est très encadré. En Europe, on ne déforeste plus pour fabriquer des catalogues. Concernant le recyclage, ce sont aujourd'hui les annonceurs qui financent toutes les usines de recyclage, ce qui correspond à 80 millions d’euros par an qui sont dégagés pour financer le recyclage du papier. Ces 80 millions proviennent des taxes que doivent payer les annonceurs pour distribuer les imprimés publicitaires.
A.G. : Pour conclure sur ce sujet, derrière une mesure qui est plutôt en phase avec la nécessité de mieux réguler nos comportements en matière de publicité, il y a un « envers du décor » en termes d’impact sur le pouvoir d’achat des ménages les plus modestes et plus largement sur la dynamique économique des territoires concernés. Il est donc primordial de gérer cette transition en gardant en tête ces enjeux économiques et sociaux.
Alexis Goujon
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