Alexis Goujon : Bonjour Nathalie, vous êtes professeure des universités en sciences de l'information et de la communication à Panthéon-Assas et vous avez édité en début d'année dernière aux éditions Odile Jacob un ouvrage qui s'intitule « Le nouveau monde des médias, une urgence démocratique ». Pouvez-vous nous expliquer comment est néel'idée de rédiger cet ouvrage ?
Nathalie Sonnac : Merci Alexis pour votre invitation. Cela fait plusieurs années que je travaille sur des questions d’économie des médias, et j’ai également eu une activité politique, en qualité de membre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel pendant 6 ans.
Lorsque mon mandat s’est terminé, je suis retournée à l'université forte de cette expérience qui m’avait énormément enrichie et qui m’avait permis de rencontrer des acteurs sur le terrain, et pas uniquement de travailler sur leurs modèles économiques. Mon mandat a été notamment marqué par l'arrivée des plateformes numérique qui ont pris un poids extrêmement important dans le champ des sciences de l'information de la communication, et de façon plus générale dans la fabrique et la circulation de l'information ainsi que dans celle du divertissement.
Aujourd’hui, on estime à environ 100 milliards de dollars le budget investis en 2021 par les 4 géants du numérique dans les contenus. On voit donc que ce sont des poids lourds dans l’industrie des médias et de la communication. Cet ouvrage est véritablement une alerte concernant les enjeux démocratiques qui viennent se loger derrière ces géants du numérique et de leur intrusion dans le champ des médias.
A.G. : Compte-tenu de leur puissance, les grandes plateformes numériques créent donc une concurrence qu’on peut qualifier de dissymétrique avec les autres acteurs médias, et avec des conséquences qu'on imagine directes sur l'équilibre de la vitalité démocratique. Pouvez-vous nous expliquer les mécanismes qui sont à l'œuvre et qui questionnent justement cet équilibre démocratique ?
N.S. : Si on regarde le point de départ, vous avez les réseaux sociaux, que ce soit Instagram, Twitter en passant par Tik Tok, qui sont les médias sur lesquels nous nous informons majoritairement. C'est particulièrement vrai pour les jeunes de 15 à 35 ans à plus de 71%, mais c'est également vrai pour l'ensemble de la population.
Derrière ces médias sociaux, on retrouve nos fameux GAFAM, ces géants du numérique qui sont en position hégémonique dans le champ de l'information. Alors, lorsque je dis qu'ils sont en position hégémonique, c'est qu’ils sont d'une part le point d'accès à l'information et d’autre part en position dominante sur le marché de la publicité en ligne, ce qui n'est évidemment pas neutre pour les médias traditionnels. Ce sont des acteurs qui sont très puissants, financièrement parlant et en matière de valorisation boursière. Google et Amazon, c'est 3 800 milliards de dollars de valorisation boursière, ce qui est bien supérieur au PIB de la France et bien supérieur au PIB de nombreux états.
Donc, on voit bien qu'aujourd'hui ce sont des acteurs, des entreprises privées, qui ont des visées sur notre espace démocratique et notre espace public devenu numérique et qui ne sont pas neutres dans leurs actions. Dans cet ouvrage, j’ai tenté de mettre en exergue l’étroite relation qu’il pouvait y avoir entre l'économie des médias et du numérique et la préservation de notre démocratie. Je me suis donc penchée sur ce que je connaissais le mieux, à savoir le modèle économique des médias traditionnels. Ce dont on s'aperçoit,c'est qu'il n’est finalement pas loin de celui des réseaux sociaux. L’éditeur est allé chercher une autre source de financement que la vente de ses journaux aux lecteurs pour pouvoir tout simplement couvrir son coût de production car l'information coûte très cher à produire, en particulier une information de qualité ; et donc il est allé chercher du revenu publicitaire.
Parallèlement, on s’aperçoit que peu à peu les médias ont évolué, la radio, la télévision ou la presse ont basculé dans un modèle ou l’auditeur, le téléspectateur, le lecteur ne paye plus pour s'informer et c'est la publicité, c'est-à-dire la vente de l'espace à des annonceurs qui couvrent l'entièreté du coût de production de l'information et qui constitue la marge pour l’entreprise. Ce modèle-là du média classique c'est celui de Google, twitter au Apple avec un modèle d'affaires qui repose très majoritairement sur du revenu publicitaire.
On voit bien que nos acteurs traditionnels sont face à des géants qui sont bien plus puissants qu'eux financièrement, mais économiquement parlant aussi.
A.G. : Quel est le principal enjeu pour notre société et quelle peut-être la réponse à ce déséquilibre ? Doit-elle passer par des réglementations gouvernementales ou est-ce que c’est un sujet dont chacun doit d’emparer en faisant évoluer ses modes de consommation de l’information et sa relation aux GAMAM ?
N.S. : Pour moi, c'est bien évidement un sujet démocratique et c'est la raison pour laquelle je parle d’une urgence de démocratique en baseline de mon livre.
Pourquoi une urgence démocratique ?
Et bien tout simplement parce que nos médias traditionnels, qu'ils soient publics ou privés, sont les seuls à avoir la mission d'informer, dans un marché qui est régulé, réglementé, avec des codes de déontologie de la part des journalistes, avec des obligations de diversité, d'équilibre des partis politiques sur les antennes et bien d'autres choses encore. Ce qui n'est pas le cas pour aucun de ces grands acteurs numériques car ils ne produisent pas d’information, ils ne font que la faire circuler avec une activité de curation, c'est-à-dire qu’ils la regroupent tout simplement. Je crois que nous sommes dans un « grand bain » très compliqué, très dangereux, dans une ère où il y a moins de croyances dans les médias, où il y a une défiance vis-à-vis des journalistes, une infobésité permanente, tout ça nous noie.Je vois deux grands vecteurs possibles pour avancer, mais qu'il faut appliquer en urgence.
D'une part, il est clair que lela réglementation nationale aujourd'hui n'est absolument pas suffisante. Les directives actuelles comme le DSA (Digital Services Act) ou le DMA (Digital Markets Act) encore plus récemment le règlement European Freedom Act sont vraiment des avancées extrêmement positives d'un point de vue de l'Europe, qui se constituent finalement un marché unique de l'information. Maintenant, d'un point de vue national, c'est très insuffisant. Il y a un grand mal notamment auquel je pense, c’est le dispositif de mesures anti-concentration qui est central et néanmoins totalement désuet car il ne prend pas en compte nos pratiques numériques, donc la réglementation nationale doit absolument être révisée.L’autre vecteur, c'est l'éducation aux médias, à l'information et à la citoyenneté numérique. Il faut absolument que nous tous puissions bénéficier d'outils de compréhension de la fabrique de l'information, de la fabrique également de la désinformation, mais d'abord de la fabrique de l'information.
Une petite précision peut-être. Loin de moi l’idée de penser, et de dire, que c'était mieux avant internet, pas du tout et bien au contraire, puisque nous avons beaucoup progressé en matière de liberté d'expression, et on le voit bien en matière de médias, il y a pléthore de nouveaux médias, de nouveaux moyens d'expression, de nouveaux moyens de communication et donc beaucoup d’aspects positifs, mais malheureusement cela draine également des fake news, du contenu illicite, du cyberharcèlement, et ça ce sont vraiment des maux démocratiques dont il est urgent de s'emparer.
A.G : Sophie, nous avons évoqué les enjeux démocratiques avec Nathalie, pour la presse quotidienne régionale que tu représentes aujourd’hui et qui est par essence un média d’information, cette responsabilité des éditeurs s’agissant de la qualité de l’information et envers le grand public, c’est un sujet qui guide le quotidien des équipes j’imagine ?
Sophie Renaud : Notre raison d'être c’est de mobiliser les énergies positives pour supporter l'information et le pluralisme dans les territoires. Autrement dit, il s’agit de défendre le maintien d'une information locale fiable et professionnelle dans tous les territoires, dans toutes les communes de France, quel que soit le média, que ce soit du print ou du digital.
Cette responsabilité s'exerce à mon sens en se référant à deux valeurs fondamentales. D’une part, le droit à l'information des citoyens, et d’autre part le respect de la personne.
C’est une responsabilité qui s'inscrit dans le cadre d'une pratique guidée par une déontologie forte qui est le fruit d'une culture, d'une formation, d'un professionnalisme qui s'accomplissent dans la pratique et l'exercice au quotidien du métier de journaliste. La Presse Quotidienne Régionale c'est une carte de presse sur trois dans les régions, c'est près de 5 800 journalistes, 25 000 correspondants qui vont rédiger plus de 35 000 articles chaque jour et qui vont être diffusés dans 250 éditions différentes sur l'ensemble des territoires et aussi dans leur déclinaison digitale. Notre responsabilité c’est aussi de porter cette voix des territoires, rendre l'information accessible à tous, une information de qualité. Nous sommes la première « salle de rédaction »
du pays.A.G : intéressons-nous à présent à la radio avec toi Pascal, chez Radio France et plus précisément chez France bleu, comment s’organise la production et la diffusion d’information et des contenus en général et quelle est votre responsabilité vis-à-vis de vos auditeurs ?
Pascal Girodias : Nos missions qui sont d'informer, d'éduquer et de divertir s'appliquent à France Bleu bien évidemment, mais à l'ensemble des antennes de Radio France. Nous avons comme mission principale de s’adresser au plus grand nombre, avec un élément important de pouvoir fournir des contenus qui sont gratuits et de s'adresser à l'ensemble de la population, donc d'avoir une couverture sur l'ensemble du territoire. C’est notre mission de service public.
Nous avons un socle de valeurs communes dont les principales sont la confiance, l’indépendance et la proximité. La confiance passe par la responsabilité de délivrer une information fiable et de qualité. C'était d'ailleurs, à l’occasion d’une consultation citoyenne menée il y a quelques années, la première attente des Français vis-à-vis de la radio publique avec un score de 71%. Pour cela,nous avons 900 journalistes chez Radio France qui réalisent plus de 700 heures de contenu d'information chaque semaine, dont 180 heures de reportage, ce qui est quand même très dense, et qui sont diffusés bien évidemment sur l'ensemble des antennes du groupe, tant en national qu’en local. Cette information de doit d’être vérifiée, et nous avons créé en 2016 pour France Info, l'agence France Info qui avait pour mission de vérifier les informations qui étaient diffusées en continue.
En 2022, cette agence France Info est devenue l’agence Radio France et c'est aujourd’hui le socle de vérification de l'information pour l'ensemble du groupe. C'est un travail important, et si je prends unexemple qui me semble assez marquant, sur un événement qui s'est passé en fin d'année à Gaza, à savoir l’explosion sur l’hôpital de Gaza, le terme « bombardement » qui avait été repris dans de nombreux médias n'a pas été utilisé à Radio France. Nous avons pris le temps de vérifier carnous ne disposions pas d'information fiable et vérifiée et nous avons fait le choix de parler « d’explosion » et pas de « bombardement ».
Pour gagner cette confiance vis-à-vis de nos auditeurs, nous allons régulièrement à leur rencontre sur le terrain. Nous échangeons avec des panels d'auditeurs sur la pertinence de nos contenus, ce qui représente un gros travail, et en local avec France Bleu, c’est aussi le travail que font au quotidien nos 44 antennes locales pour parler des enjeux, nationaux bien évidemment, car il y a aussi une part nationale sur France Bleue, mais surtout l'actualité locale.Pour terminer, je voudrais souligner le travail qui est fait par la médiatrice de Radio France et son équipe, qui reçoivent chaque mois 13 000 lettres d’auditeurs. Ces remarques et commentaires d'auditeurs sont discutés chaque semaine par la médiatrice en toute transparence en toute indépendance, ce qui montre aussi l'importance du lien que nous voulons créer avec les auditrices et les auditeurs.
A.G. : Rémy, concernant la presse magazine, êtes-vous confrontésaux mêmes enjeux et aux mes mêmes problématique qu’évoquait Pascal pour la PQR ?
Rémy Angel : Nous avons en commun la pluralité et la diversité de nos titres. CMI France aujourd'hui, c'est 19 titres avec des marques iconiques comme ELLE, des marques très puissantes comme TELE7, plus territoriales avec nos amis de la PQR avec Version Fémina, des titres plus prospectifs avec Usbek & Rica et des magazines d'opinion avec Franc-tireur qui fonctionne très bien ou encore Marianne. Mais aussi des nouveaux usages avec le podcast Louie Media et Loopsider sur la vidéo.
Nous avons donc une pluralité de moyens d'expression, de territoires d'expression, qui est rendu possible grâce à notre actionnaire Daniel Kretinsky qui nous offre les moyens de notre indépendance totale. Nos rédactions fonctionnent avec une autonomie absolue, et je le clame fort ici. Parfois, certains de nos titres font leur couverture sur nos annonceurs et c'est très bien. Pour la publicité, peut être moins bien à court terme, mais sur le long terme, je suis convaincu que c'est une bonne chose pour tout le monde.
Notre mission c’est informer, inspirer et guider en toute indépendance. C’est donc inscrit dans notre ADN, convaincus que nous sommes que le travail journalistique est le garant de nos démocraties et du pluralisme de pensées. Pour rappel, ELLE a un statut IPG ce qui signifie Information Politique et Générale, depuis 5 ans, avec comme mission de faire bouger les lignes. ELLE est très actif actuellement sur les sujets de société et nous nous en félicitons, mais je précise qu’acquérir ce statut a été un combat, parce que qu’il a fallu de très longues années pour que ELLE obtienne ce statut pour un magazine féminin, alors qu'il a dans les années 70 déjà organisé les premiers états généraux de la femme. Dans ce contexte, ça dit quelquechose de la vigilance qu'on doit porter encore à ces sujets.
A.G. : Qui dit pluralisme des idées, dit bien évidement diversité des sources. Quels sont pour vous les enjeux de maintenir un paysage média à la fois large, professionnel et pluriel ?
R.A. : Ta question Alexis prend encore plus de relief dans le contexte de cette année qui a été cruciale pour la démocratie avec des élections très importantes. Notre conviction c’est que dans ce contexte, l'accès à la culture est prioritaire. Par exemple dans les régions, Version Fémina qui est diffusé à travers les titres de PQR est parfois le seul magazine papier qui est pris en main par certains publics et c'est un point important. Quand Télé 7 jours, quiest le magazine TV le plus puissant aujourd'hui en France, met en couverture Muriel Robin et son épouse, ça dit quelque chose aussi de la culture, c'est politique et ça participe à faire évoluer la société.
Il y a également un autre accès à l'information, ce sont les réseaux sociaux. Je vais prendre l'exemple d’une question que j'ai posée à une des patronnes de la RSE d'une grande agence média parisienne bien connue, à qui je demandais quelle initiative intéressante elle voyait sur le marché en termes de RSE. Elle m’a cité la démarche du groupe Le Monde qui communique aujourd’hui sur Instagram et sur Tik Tok pour aller chercher les jeunes publiques avec des contenus pédagogiques au bon format. L’Alliance de la Presse a aussi cette démarche sur Twitch avec Samuel Etienne notamment pour parler aux jeunes publics.
P.G. : Ce qui ressort des propos de Rémi, mais aussi de ceux de Nathalie Sonnac, c'est qu’à l'heure de l'intelligence artificielle et des réseaux sociaux, l'un des enjeux pour nous tous est l'éducation aux médias des plus jeunes. Il faut apprendre aux jeunes générations l’importance de croiser les points de vue et de vérifier les sources afin de se forger sa propre opinion. La complémentarité entre les médias est importante à ce niveau-là.
Je vais prendre trois exemples.
Le premier est un projet que France Info réalise avec Bayard jeunesse, un rendez-vous qui s'appelle « J’apprends l'info » qui est une éducation aux médias. Nous allons faire sur l'année cinq webinaires à destination des 7-11 ans et ensuite des 11-15 ans. La première session a eu lieu mi-janvier dans le studio 104 de Radio France avec 700 jeunes qui étaient présents pendant une journée complète. D’autres jeunes pouvaient y assister en streaming dans leur classe et avec leurs professeurs. La thématique était « apprendre à décrypter une image » et donc comment éviter les manipulations avec des exemples qui leur parlent : le Pape en doudoune, Emmanuel Macron assis sur un tas de détritus en bord de la Seine et d’autres exemples pour leur montrer qu’il faut savoir décrypter et bien interpréter les images. Nous comptons sur le succès de ces cinq webinaires, le premier ayant été un véritable succès puisque nous avons touché plus de 40 000 scolaires à la fois en physique au studio 104, mais également dans leurs classes avec leur enseignant.
Nous avons également travaillé avec CMI et Usbek & Rica sur un tribunal pour les générations futures, avec un titre provocateur qui était « le journalisme est-il mort ? », avec le constat que, non, le journalisme n’est pas mort et qu’il faut vérifier ses sources.
Enfin, pour revenir sur ce qui est fait en local et s’agissant des enjeux démocratiques que sont les élections locales et territoriales, les médias de proximité comme la PQR et FranceBleu en particulier, jouent un rôle important pour aider les citoyens à décrypter les programmes des candidats, et généralement, lors de ces grands rendez-vous, nous sommes très sollicités avec des alliances qui se font entre la PQR et France Bleu pour organiser des débats avec les candidats, et c'est généralement très apprécié par les auditeurs et les lecteurs.
S.R. : Ces échanges et ces différentes initiatives confirment que les médias sont nécessaires au bon fonctionnement d'une démocratie. La diversité est donc un gage de pluralisme et de respect de la diversité d’expression, et la Presse Quotidienne Régionale participe à défendre ce droit à disposer d’une information fiable sur le terrain.
Cela contribue à lutter contre les déserts médiatiques dans lesquels l’accès à l’information est souvent difficile, mais aussi de lutter contre la désinformation qui à mon sens est l'une des menaces les plus significatives auxquelles les démocraties doivent faire face aujourd'hui.
Pour compléter avec un autre exemple, je citerais le groupe Ebra qui a décidé d'offrir aux 18-25 ans un abonnement numérique à l’un de ses titres. C'est un moyen à la fois de mieux informer lesplus jeunes pour lutter contre cette désinformation ambiante, mais aussi de les aider à se forger une opinion un peu éclairée sur les grandes mutations de notre société. Autre exemple concernant à nouveau le groupe Ebra qui a pris en décembre dernier la décision de se faire labelliser par le Journalism Trust Initiative sur un projet initié par Reporters Sans Frontières dont le but est de montrer l'importance de travailler pour un journalisme d'excellence, en tout cas d'essayer de travailler dans ce sens et pour la transparence dans les médias.
C’est aussi une manière de rappeler et de souligner l’importance d'une presse responsable qui va respecter les principes et les standards éthiques et déontologiques de l'information.
A.G. : Pour produire cette information, il faut pouvoir payer des journalistes et des équipes de rédaction. Quelles sont, dans vos entreprises respectives, les enjeux pour l'avenir en termes de financement de la production de cette information ?
R.A. : La part de la publicité dans nos business model évolue. Ça n’est pas à la base notre modèle chez CMI, nous sommes avant tout financés par la distribution et nous développons en parallèle beaucoup de nouveaux services comme par exemple des cours de Yoga avec OLY Be. Ce qui m'inquiète davantage en revanche, c'est l'étude de l’ARCOM de la semaine dernière qui montre les tendances d’évolution des investissements publicitaires entre les médias producteurs de contenu, c'est à dire ce que nous sommes, et les médias-plateformes distributeurs de contenus. L’Arcom prédit une perte, en moins de 8 ans, d’environ 800 millions d'euros de revenus publicitaires en France, faisant passer la part de ces recettes publicitaires pour les médias producteurs de contenus de 40% en 2022 à 29% en 2030. Il y a une urgence démocratique mais aussi de modèle économique pour les médias.
P.G. : Pour nous Radio France, le sujet du financement est un peu différent puisque l’audiovisuelle publique est financée par le contribuable et l’enjeu est moindre que pour les acteurs privés. Mais je voudrais faire référence à la chronique de Dominique Seux de ce matin sur France Inter qui invitait les annonceurs à investir sur les médias français avec à la fois un enjeu pour la démocratie puisque derrière il y avait la survie de la pluralité des médias en France.
S.R. : Il est en effet urgent de trouver des solutions pour soutenir ces modèles économiques fragilisés par une baisse de revenus. Pour la PQR, la diversification passe par exemple par l’initiative du Télégramme qui a décidé de prendre des participations dans différents événements culturels, notamment la Route du Rhum ou les festivals des Francofolies et du Printemps de Bourges, ce qui permet de solidifier une assise économique.
Il y a aussi le fait de pouvoir passer par le marché publicitaire, en montrant qu'il y a une responsabilité partagée des annonceurs qui doivent investir en priorité sur des éditeurs qui sont producteurs de contenus et que cette information coûte cher à produire, et que s'il n'y a pas de moyens, il n'y a pas d'informations de qualité. Il faut continuer cette pédagogie auprès d'eux.
Sur le plan législatif, Nathalie Sonnac l’évoquait, des mesures ont déjà été prises pour préserver et pérenniser les médias, notamment les négociations autour des Droits voisins qui permettent aujourd'hui aux éditeurs de presse d'obtenir de la part des plateformes une juste rémunération en contrepartie de l'exploitation en ligne de leur contenu.
Et puis les travaux qui sont menés dans le cadre des Etats Généraux de l'Information par l’Alliance de la presse d’information générale, avec l'idée de publier des propositions pour garder une information plurielle, professionnelle et indépendante. Cela peut passer par des aides financières de l'état aux médias producteurs d'une information fiable, par la mise en place d’actions incitatives pour que les annonceurs investissent en publicité dans ces médias, comme des crédits d’impôts.
C’est aussi faire de l’éducation média une cause nationale, de continuer à proposer aux jeunes des abonnements qui seraient financés par le pass culture, motiver la vente au numéro ou encore assouplir les règles d'installation de points de vente dans les zones blanches.
Il y a plusieurs niveaux, plusieurs leviers à activer, mais sans tarder.
Alexis Goujon
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